Les emo pop lords sont définitivement de retour et balancent le thé avec leur meilleur album en date.
Dans l’épisode précédent, The 1975 faisait tomber le masque pour une ère rempli de paillettes roses, costards Gucci et Dior, poses royales, synthés 80’s et pop romantique à en faire pâlir Talking Hands, ton meilleur pote et même ta petite soeur. Groupe un peu trop underrated chez certains – coucou l’Europe ! – ou qui en fait beaucoup trop pour d’autres – faut surtout blâmer Matty Healy aka le chanteur et frontman de cette petite compagnie – les anglais ont tout de même mis le pâté dans l’image du groupe à l’allure rebelle et engagé, tout en restant dans la vibe prom band 90’s. C’est en grande pompe qu’on les retrouve avec un nouvel album tout aussi éclectique, engagé et sincère, nommé A Brief Inquiry Into Online Relationships.
Dressant un certain portrait creusé de la génération des millennials, les pistes d’exploration musicales sont toutes aussi nombreuses, ce qui fait le piment d’un groupe en passe de devenir culte aux yeux du monde entier. Ils rêvent d’un autre monde et ils iront encore plus loin que les étoiles cette fois-ci. L’album qui est arrivé dans mes oreilles est une véritable forêt électrique et lumineuse, car au fond de la morosité et des malheurs sur Terre, les britanniques croient en l’espoir, à l’amour et à la vie, sous fond de tristesse. La pochette, représentant la simplicité et les phares lumineux grâce aux différents carrés colorés sur une surface blanche, peut traduire visuellement un album où les sonorités, les genres se mélangent et sont déconstruits pour plus de créativité. Ils dressent les problèmes de notre monde actuel, entre abus des réseaux sociaux et fake news. Mais Matty, en véritable songwriter, glisse également ses propres expériences et vérités. Et ils le démontrent tout simplement en quinze titres et en une heure top chrono. Bref, prends ton thé et tes Easter Eggs – j’expliquerai ça quelques lignes plus loin – accroche ta ceinture, le vaisseau spatial décolle pour une nouvelle galaxie !
Généralement, un album ou un live de The 1975 commence toujours avec une intro, sobrement nommée The 1975 où on assiste cette fois-ci à la première déconstruction. Si on a connu des intros maison plus élaborées sur les deux premiers albums, cette troisième mise en matière sonne davantage artisanale sur le plan des instruments et des choeurs. Aux premiers abords, elle peut dérouter les fans de la première heure, voire agresser les oreilles. Puis s’en suit des instants électroniques, ponctués par de nombreux moments doux, mélancoliques voire émotionnellement déchirants .
Les grands écarts font partie des caractéristiques musicales du groupe, et c’est une bonne qualité pour se positionner sur l’échiquier artistique actuel. S’inspirer des autres est également une autre qualité appréciée, ce qui me mène à parler de Give Yourself A Try, un premier leadsingle captivant et transpirant le pop-punk des années 2000 mélangé à Joy Division. Il faut savoir que The 1975 s’est formé en 2002 sur les bancs du secondaire et qu’ils ont commencé à reprendre des classiques emo lors de leurs premiers concerts, avant de se tourner vers leurs propres compositions. C’est un hommage musical puissant à ces jeunesses – et à les leurs – vivantes ou perdues. Comme à l’image de Jane, une fan du band qui s’est donnée la mort à ses 16 ans (« Jane took her own life at 16 / She was a kid who had the box tattooed on her arm »). « The box » fait référence au rectangle, symbole emblématique du groupe britannique. Il y a également cette phrase qui résume la pensée générale de ce titre : « And what would you say to your younger self ? ». Elle fait clairement référence au passé parfois calamiteux qui sommeille en chacun.e, où on aimerait rencontrer ce fantôme de nos 25,20 ou 16 ans pour dire qu’essayer toutes les expériences de la vie, ce n’est pas forcément conseillé, surtout qu’on prend du recul à un certain âge.
« Write a letter to your future self who won’t change / Don’t let the Internet ruin your time » The 1975, How To Draw / Petrichor
Cette citation pivotante m’amène à parler de l’omniprésence d’Internet sur nos vies et de l’utilisation artistique dans cet opus. Vu que l’album parle d’une façon littérale, du décryptage des relations virtuelles de notre époque, l’interlude au piano The Man Who Married A Robot / Love Theme en est un des parfaits exemples. Contée par Siri – oui c’est exact ! – elle raconte la relation ultra-fusionnelle – voire amoureuse – entre un homme et l’outil qu’est Internet. Certes, c’est un rappel plus contemporain à Radiohead une vingtaine d’années après Fitter Happier – interlude racontée par une voix d’ordinateur – et l’essence d’OK Computer se propage dans A Brief Inquiry Into Online Relationships. Je laisse cette dernière référence de côté, parce que j’y reviendrai dessus un peu plus tard. How To Draw / Petrichor reprend la réalisation effectuée il y a deux ans et demi, extraite du second album I Like It When You Sleep, For You Are So Beautiful Yet So Unaware Of It – je sais ce nom est trèèèèèèèèès long – en l’embellissant, signe que un travail quelconque peut toujours évoluer. Au départ, c’était une simple ballade instrumentale en piste bonus. Elle est devenue une piste électro-acoustique sombre, avant de s’amplifier dans un habit déstructuré, un son spatial et lumineux qui amène dans un autre axe de l’exploration : la modernité.
Parce que Internet représente entre autres cette modernité. Mais à force d’être dans un monde où les drones et les assistants personnels contrôlés par la wifi font quasiment leur loi, les premières fissures de ce monde pourtant si rêvé commencent à se voir. Se pose alors une des phrases principales de cette ère : « Modernity Has Failed Us« . Et c’est là où le groupe sort une de ses cartes clés, un sorte de hymne engagé dans un monde de post-vérité, qu’est Love It If You Made It. Musicalement calée entre The Blue Nile et Talking Heads, ce genre de son donne l’énergie nécessaire pour aller fighter le monde entier qui te pourrit jusqu’aux os. Non, sans rire. Cette chanson est tellement puissante et nécessaire dans une planète de détractés, notamment à l’aube de 2019. Il y a la prise de recul sur le monde qui entoure les gens et l’envie de le dénoncer. Ce qui donne I Like America And America Likes Me, qui est totalement taillé pour les instants dancefloor, où l’autotune et le trap actuel rencontre les mots dénonciateurs, autour des tueries de masse aux US. Et puis il y a le souhait d’ironiser tout ce qui bouge sur cette planète. TOOTIMETOOTIMETOOTIME est un gros banger des enfers qui sent bon la dance à la fin des années 90 et un parfum décomplexant à la fraise, coucou la pop insouciante de ILIWYS. L’autotune n’était cependant pas obligatoire dans ce genre d’exercice, mais je peux clairement avouer qu’il fait son effet immédiat, dès les premières écoutes.
Alors, maintenant, je vais parler des années 90. Voire de la nostalgie tout court. Parce qu’au fond des moments rythmés et des premiers singles aux teneurs musicales joyeuses, se cache une très grande part de tristesse dans cet album. La vie ne peux hélas se faire uniquement avec la joie et la modernité, et finalement, c’est pas si mal que ça. En complantant d’un point de vue général, il y en a énormément, des instants parfois doux, mais surtout mélancoliques qui renvoient à des flashbacks parfois bouleversants. Il y a ces ballades à la guitare acoustique, Be My Mistake et Surrounded By Heads And Bodies, dépouillées de tout artifice et rééquilibre la balance après des titres plus énergiques et dansants. Le texte du deuxième titre cité est vraiment intéressant, revoyant à un épisode récent de la vie de Matty Healy : sa rehab dû à son addiction à l’héroïne, effectuée l’année dernière en Angleterre durant l’enregistrement de cet album. Ce thème est également rappelé dans It’s Not Living (If It’s Not With You) où l’instrumental évoque la synthpop FM de la fin des 80’s et peut être considéré comme une chanson d’amour, avec un texte sombre et triste.
Je pense que je pourrais consacrer un paragraphe tout entier à parler de Sincerity Is Scary, vu qu’il fait le regroupement des notions énormément évoquées dans ABIIOR : la modernité et la nostalgie. Musicalement, elle est hyper jazzy et vintage, vraiment magnifique et agréable à écouter. Sur le papier, le texte n’est pas du tout à négliger, puisque c’est une rétrospective d’une pensée globale de la vie – enfin de la vie de Matty – entre l’amour, le succès, les drogues, les réseaux sociaux. Dresser ses problèmes en prenant le meilleur recul possible est sûrement une des meilleures thérapies qui existent. Et puis, ce morceau rappelle beaucoup de Easter Eggs, notamment pour les passionné.e.s de The 1975. Sur le texte, il y a ce « what a shame » qui est devenu un sorte de slogan dans ce groupe : il renvoie certes aux textes de Love Me et Paris – issus de ILIWYS – mais aussi sur certains tatouages de fans ou en décoration d’une des guitares de Matty. Le clip est également du même tonneau, parce qu’il y a BEAUCOUP de références en rapport avec les précédents travaux visuels du groupe, notamment A Change of Heart. Pour citer les plus pertinentes/marquantes parmi cet éventail de détails, il y a ce réveil dans la première scène, avec les aiguilles positionnées sur les 1,9,7 et 5, qui forment le nom du groupe. On retrouve aussi ce détail sur le haut de l’immeuble, lorsque Matty sort de ce dernier pour aller marcher dans la rue. Autre élément intéressant, on y retrouve « La Poésie est dans la rue », phrase emblématique du band sur la façade du cinéma… chose qu’on retrouve également dans les clips de A Change of Heart et Robbers. Et il y en a plein d’autres : la petite chorégraphie exécutée dans SIS est exactement la même que dans ACOH, on y croise le tableau de Joseph Beuys – I Like America And America Likes Me, tiens ça rappelle pas quelque chose ? – lors de la scène dans la chambre. The 1975 est le genre de groupe qui adore glisser des indices sonores, textuels ou visuels dans leurs travaux pour assurer une certaine relation entre tous ces éléments proposés.
Puis arrive les instants vague à l’âme de l’album, où la mélancolie est musicalement au coeur de l’action et le temps est suspendu, où la nostalgie se rejoint dans les sentiments amoureux. Et perso, c’est ma partie préférée, celle qui m’a laissée émotionellement parlant dans un état mental pas possible, entre l’envie de danser des slows avec les gens que j’aime sur ce monde et l’envie de chialer toutes les larmes de mon corps. En amoureux du jazz et de John Coltrane, Mine est une ballade sortie d’une autre époque, aux chaleurs velourées et nocturnes. Et… wow, elle est juste PUTAIN de magnifique. C’est rare que j’écrive des gros mots dans des reviews. Mais, les mots me manquent. C’est le genre de morceaux que je voulais entendre chez ce groupe, des ballades qui font chialer les chaumières. Inside Your Mind est tout aussi merveilleuse, on est vraiment de retour dans les années 90 avec ce genre de morceau triste et ce texte traitant du romantisme vampirique avec du sang partout – « I’ve had dreams where there’s blood on you » – mais au fond, elle est considérée comme une profonde chanson d’amour. J’accroche cependant un peu moins à I Couldn’t Be More In Love, qui est musicalement très vintage et magnifique et me rappelle personnellement les vieilles ballades guimauve des eighties. Mais j’adore ce key change, ainsi que ce petit solo de guitare. Matty souhaitait écrire un texte sur leur fanbase ultra dévouée de jour en jour, en ne cachant pas sa peur de la perdre : c’est donc fait. I Always Wanna Die (Sometimes) clôture l’album de la meilleure des façons : une ballade rock déchirante et bouleversante. C’est aussi un hommage – musical notamment – à la Britpop, notamment à Oasis et Radiohead. Cette chanson me donne clairement les larmes aux yeux, je ne pensais pas que un de mes groupes préférés allait sortir une aussi magnifique ballade qui brise mon coeur à chaque écoute.
C’est là qu’on réalise que The 1975 ne rigolait pas quand ils ont déclaré le souhait de réaliser un album « qui allait changer le monde » : ils veulent vraiment monter sur le trône et régner mondialement. Avec l’objectivité que j’ai – enfin on va essayer – A Brief Inquiry Into Online Relationships est tout simplement un album monstrueux et quasi sans-faute, un opus qui pourrait bien marquer notre génération et changer le game dans le monde musical – en plus d’être un des meilleurs albums de 2018. On y retrouve l’essence des groupes britanniques qui les ont précédé et marqué leur époque, comme Radiohead voire The Smiths. L’ensemble de cet album contient le courage de remettre en question notre modernité d’une façon ironique et sincère. Et cette pensée est réellement mise en valeur d’une façon artistique, en plus de ressentir une production artisanale et davantage destructurée sur ABIIOR. Mais ce n’est pas tout : le quatrième album des mecs de Manchester, Notes On A Conditionnal Form, débarque au printemps prochain, et sera plus pensé comme un disque nocturne, à écouter en bagnole. Et ouais, carrément.